Marrakech, carrefour des arts du livre
Il y a près de mille ans, la ville de Marrakech fut fondée. Depuis ce temps, cette capitale n’a cessé d’occuper une place importante dans la production, la circulation et la préservation des livres. Les précieux manuscrits, qui furent produits à Marrakech et qui nous sont miraculeusement parvenus, témoignent de ce faste quasi-millénaire.
Dès le règne du sultan almoravide ʿAlī b. Yūsuf (r. 1106-1143), Marrakech est le point d’attraction des intellectuels maghrébins et andalous, au point que l’historien al-Marrakushi a dit de la cour almoravide qu’elle ressemblait à celle des Abbasides à leurs débuts. Nul doute que la Grande Mosquée de ʿAlī b. Yūsuf abritait de somptueux manuscrits du Coran, réalisés sur parchemin, dont certains sont peut-être encore conservés à la Bibliothèque b. Yūsuf ou ailleurs. La plus monumentale de ces copies – passée dans la collection du Pasha al-Glaoui et aujourd’hui conservée à Rabat, BNRM – incarne sans doute la grandeur du prince ʿAlī b. Yūsuf.
A l’époque almohade, Marrakech devient la capitale du savoir. Savants et poètes affluent… On y croise de grands philosophes et médecins comme Avveroès, des géographes et des historiens. Marrakech, avec ses nouvelles écoles et ses bibliothèques, est devenue un lieu d’étude comparable – voire supérieur si l’on en croit Ibn Khaldoun – à ce qu’était alors Fès et les grandes villes andalouses. Le rayonnement de la ville est tel qu’elle reçoit, en 1157, le manuscrit du Coran attribué au calife Uthman, transporté depuis la Grande Mosquée de Cordoue jusqu’à Marrakech, et déposé par le calife ʿAbd al-Mu’min lui-même dans sa nouvelle mosquée : la Kutubiyya. Un système d’automate unique permet de sortir le manuscrit de son armoire et de l’y renvoyer. On confie aux artisans de Marrakech la confection d’une reliure d’apparat constituée d’or, d’argent, de pierres précieuses et d’émaux. Nos artistes oeuvrent certainement à l’ombre du minaret de la Kutubiyya. En effet, on trouve ici une centaine de libraires – voire plus – qui écrivent et relient de nouveaux ouvrages. Quelques reliures de cuir ont été miraculeusement conservées de cette époque et témoignent de ce savoir-faire ancestral.. Ce que nous conservons néanmoins de cette époque résulte davantage de l’oeuvre de l’avant-dernier sultan almohade, Abū Ḥafṣ al-Murtaḍā (r. 1248-1266). Bibliophile passionné, il fit don à la mosquée de Tinmal d’un somptueux exemplaire du Coran copié à Séville. Il déposa un autre magnifique manuscrit, copié sur papier rose, dans la tombe de son épouse probablement située à Marrakech. Le sultan Al-Murtaḍā était également un excellent calligraphe : il copia lui-même un exemplaire du Coran en 10 volumes, qu’il donna à la mosquée de ʿAlī b. Yūsuf. Ce manuscrit constitue aujourd’hui la plus ancienne copie royale conservée en Occident musulman.
Marrakech redevient une capitale éclatante à l’avènement des Saadiens au XVIe siècle. Moulay ʿAbd Allah fit édifier la Grande Mosquée Mouassine (1562-1572), et la dota d’une bibliothèque, dont les livres – transportés en 1939 à la Bibliothèque b. Yūsuf – ont été conservés jusqu’aujourd’hui. Mais la bibliothèque la plus célèbre de l’époque est sans nul doute celle du calife Aḥmad al-Manṣūr (r. 1578-1603), dont hérita son fils Moulay Zaydān. Contraint de fuir Marrakech en 1612, il emporta avec lui ses précieux livres, qui furent malencontreusement capturés et emmenés à la Bibliothèque royale de l’Escorial, où ils sont en partie encore préservés aujourd’hui.
L’histoire des livres et des bibliothèques de Marrakech dans les derniers siècles est fort peu documentée. On sait néanmoins que les bibliothèques n’étaient pas tombées dans l’oubli pour autant. Au tournant du XIXe-XXe siècle, des documents officiels montrent que les sultans Moulay Ḥassan et Moulay ʿAbd al-ʿAzīz étaient engagés dans l’organisation des bibliothèques et continuaient de léguer des manuscrits à ces institutions comme l’atteste une lettre royale du sultan Moulay Hassan rédigée de la main de son secrétaire l’écrivain Abdallah Akansous. A l’inverse, d’autres manuscrits allaient rejoindre les collections royales ou s’ehappaient pour grossir les collections privées, comme celles du Pasha al-Glaoui ou du Maréchal Lyautey.
Près d’un millénaire s’est écoulé aujourd’hui. Pourtant, en admirant les manuscrits conservés ici et ailleurs et en lisant les récits littéraires, Marrakech redevient à nos yeux ce centre où l’art du livre acquiert toute sa splendeur ; ce carrefour où vinrent des livres de tous horizons et cette capitale où les bibliothèques protégèrent un patrimoine exceptionnel pour l’histoire du Maroc, du monde islamique et de l’humanité.
Publications l’association al-Muniya de Marrakech à l’oocasion de la conférence de Éléonore Cellard. Zahria de Marrakech, Moussem de la fleur d’oranger Mars 2024
Il y a près de mille ans, la ville de Marrakech fut fondée. Depuis ce temps, cette capitale n’a cessé d’occuper une place importante dans la production, la circulation et la préservation des livres. Les précieux manuscrits, qui furent produits à Marrakech et qui nous sont miraculeusement parvenus, témoignent de ce faste quasi-millénaire.
Dès le règne du sultan almoravide ʿAlī b. Yūsuf (r. 1106-1143), Marrakech est le point d’attraction des intellectuels maghrébins et andalous, au point que l’historien al-Marrakushi a dit de la cour almoravide qu’elle ressemblait à celle des Abbasides à leurs débuts. Nul doute que la Grande Mosquée de ʿAlī b. Yūsuf abritait de somptueux manuscrits du Coran, réalisés sur parchemin, dont certains sont peut-être encore conservés à la Bibliothèque b. Yūsuf ou ailleurs. La plus monumentale de ces copies – passée dans la collection du Pasha al-Glaoui et aujourd’hui conservée à Rabat, BNRM – incarne sans doute la grandeur du prince ʿAlī b. Yūsuf.
A l’époque almohade, Marrakech devient la capitale du savoir. Savants et poètes affluent… On y croise de grands philosophes et médecins comme Avveroès, des géographes et des historiens. Marrakech, avec ses nouvelles écoles et ses bibliothèques, est devenue un lieu d’étude comparable – voire supérieur si l’on en croit Ibn Khaldoun – à ce qu’était alors Fès et les grandes villes andalouses. Le rayonnement de la ville est tel qu’elle reçoit, en 1157, le manuscrit du Coran attribué au calife Uthman, transporté depuis la Grande Mosquée de Cordoue jusqu’à Marrakech, et déposé par le calife ʿAbd al-Mu’min lui-même dans sa nouvelle mosquée : la Kutubiyya. Un système d’automate unique permet de sortir le manuscrit de son armoire et de l’y renvoyer. On confie aux artisans de Marrakech la confection d’une reliure d’apparat constituée d’or, d’argent, de pierres précieuses et d’émaux. Nos artistes oeuvrent certainement à l’ombre du minaret de la Kutubiyya. En effet, on trouve ici une centaine de libraires – voire plus – qui écrivent et relient de nouveaux ouvrages. Quelques reliures de cuir ont été miraculeusement conservées de cette époque et témoignent de ce savoir-faire ancestral.. Ce que nous conservons néanmoins de cette époque résulte davantage de l’oeuvre de l’avant-dernier sultan almohade, Abū Ḥafṣ al-Murtaḍā (r. 1248-1266). Bibliophile passionné, il fit don à la mosquée de Tinmal d’un somptueux exemplaire du Coran copié à Séville. Il déposa un autre magnifique manuscrit, copié sur papier rose, dans la tombe de son épouse probablement située à Marrakech. Le sultan Al-Murtaḍā était également un excellent calligraphe : il copia lui-même un exemplaire du Coran en 10 volumes, qu’il donna à la mosquée de ʿAlī b. Yūsuf. Ce manuscrit constitue aujourd’hui la plus ancienne copie royale conservée en Occident musulman.
Marrakech redevient une capitale éclatante à l’avènement des Saadiens au XVIe siècle. Moulay ʿAbd Allah fit édifier la Grande Mosquée Mouassine (1562-1572), et la dota d’une bibliothèque, dont les livres – transportés en 1939 à la Bibliothèque b. Yūsuf – ont été conservés jusqu’aujourd’hui. Mais la bibliothèque la plus célèbre de l’époque est sans nul doute celle du calife Aḥmad al-Manṣūr (r. 1578-1603), dont hérita son fils Moulay Zaydān. Contraint de fuir Marrakech en 1612, il emporta avec lui ses précieux livres, qui furent malencontreusement capturés et emmenés à la Bibliothèque royale de l’Escorial, où ils sont en partie encore préservés aujourd’hui.
L’histoire des livres et des bibliothèques de Marrakech dans les derniers siècles est fort peu documentée. On sait néanmoins que les bibliothèques n’étaient pas tombées dans l’oubli pour autant. Au tournant du XIXe-XXe siècle, des documents officiels montrent que les sultans Moulay Ḥassan et Moulay ʿAbd al-ʿAzīz étaient engagés dans l’organisation des bibliothèques et continuaient de léguer des manuscrits à ces institutions comme l’atteste une lettre royale du sultan Moulay Hassan rédigée de la main de son secrétaire l’écrivain Abdallah Akansous. A l’inverse, d’autres manuscrits allaient rejoindre les collections royales ou s’ehappaient pour grossir les collections privées, comme celles du Pasha al-Glaoui ou du Maréchal Lyautey.
Près d’un millénaire s’est écoulé aujourd’hui. Pourtant, en admirant les manuscrits conservés ici et ailleurs et en lisant les récits littéraires, Marrakech redevient à nos yeux ce centre où l’art du livre acquiert toute sa splendeur ; ce carrefour où vinrent des livres de tous horizons et cette capitale où les bibliothèques protégèrent un patrimoine exceptionnel pour l’histoire du Maroc, du monde islamique et de l’humanité.
Publications l’association al-Muniya de Marrakech à l’oocasion de la conférence de Éléonore Cellard. Zahria de Marrakech, Moussem de la fleur d’oranger Mars 2024