Marrakech s’ouvre dans les détails qui comptent. À l’aéroport, « les augures étaient bons », écrit la Dr Chitra Gopinathan, consultante en anesthésie à Queens Hospital Romford, après « deux cappuccinos pour le prix d’un ». Elle baisse ses attentes pour un hôtel aux avis fluctuants, puis se laisse guider par une règle simple : commencer par une marche avec un guide. La navette la dépose face à la mosquée Koutoubia, point de repère avant de rejoindre la visite à pied. « C’est notre mois le plus frais », affirme le guide, alors que le thermomètre affiche trente degrés au soleil. L’ombre manque, l’ombrelle s’ouvre, et la ville se déplie : monuments, itinéraires, conseils précis. Déjeuner ensuite au-dessus de la place, puis retour vers le palais de la Bahia et les tombes saadiennes, dont l’architecture « rappelle l’Alhambra ».
Le lendemain, la modernité de Guéliz s’éveille tard. Une halte, quelques rencontres inattendues, puis un rendez-vous : « Kamal nous attend pour le tour gourmand », raconte-t-elle. Premiers arrêts : crêpe feuilletée façon paratha, soupe et halwa. Au comptoir où déjeunent les stall owners, « l’omelette tomate-viande » se mange dans son plat brûlant, « c’est ce que cuisinent les étudiants, facile et nourrissant », explique Kamal. Il détaille ensuite la tanjia : « viande salée au safran et cumin, cuite lentement dans une jarre scellée, enfouie dans les cendres ». À Marrakech, on confie souvent la jarre au four public ou au hammam, on revient « des heures plus tard ». Le restaurant du souk où il les conduit « sert une tanjia que des célébrités viennent goûter ». Le plat « fond dans la bouche ». Entre deux bouchées, olives natures et marinées, harissa trop vive comparée à celle de l’hôtel ; puis fruits de cactus, lait aux dattes et avocat pressé à l’orange. « Nous n’avions plus de place pour les pâtisseries », elles partiront à l’hôtel.
La pluie qui suit est « une bénédiction », disent les locaux ; le repos s’impose. Les jardins reviennent avec le Jardin Majorelle, créé par Jacques Majorelle, puis sauvé et réinventé par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé. « Le jardin est rempli de touristes qui posent à chaque coin », écrit la docteure, avant de rejoindre le Musée Yves Saint Laurent Marrakech. En regagnant la médina, l’interpellation est rituelle : « Indiens ? Shah Rukh Khan ? » Sur la Jemaa el-Fna, la transition du jour au soir est nette : « les charmeurs de serpents et les singes en chaînes cèdent la place aux conteurs et aux artistes au henné ». Les terrasses observent, les calèches alignées attendent.
La ville se lit aussi par ses montagnes. « Un voyage à Marrakech ne serait pas complet sans l’Atlas », note-t-elle. Abdullah conduit. Première étape : une coopérative féminine autour de l’argan. Le pain d’orge se trempe dans l’amlou, l’huile et le miel. « Rien n’est gaspillé », montre la démonstration : fruits mangés par les chèvres, noyaux séchés, coque retirée, graine broyée, huile culinaire sortie des grains torréfiés, résidus transformés en savon. L’Ourika est boueuse après les pluies ; on signale une crue ancienne et un système d’alerte désormais en place. Sur la route en lacets, « je peux faire ce trajet les yeux fermés », plaisante Abdullah ; « pas aujourd’hui », répond le groupe. Devant, les reliefs changent de teinte selon les minéraux : verts-gris du cuivre, rouges du fer, pins puis pentes nues. Au loin, le Toubkal est enneigé. Elle rappelle « le séisme qui a détruit des villages » et « les reconstructions pensées pour mieux résister ».
À midi, Abdul, guide berbère, propose « facile, moyen ou difficile ». Le moyen sera suffisant. Les maisons « en pierres, argile et paille » se fondent au paysage, « deux pièces et une cuisine pour six ou sept personnes », les plus aisées en brique ; l’élevage et l’agriculture dominent, « pommes gala, coings et autres fruitiers », l’irrigation par canaux de montagne. « C’est une petite communauté, tout le monde se connaît et veille sur les autres », dit Abdul en refaisant un lacet d’enfant. Une aïeule assise au bord du chemin, « environ 120 ans », illustre « une longévité attribuée à l’activité physique et à l’absence d’alcool ». La montée reste douce mais l’air se fait plus mince : « je m’essouffle », avoue l’autrice, après « les indulgences culinaires » de la semaine. Le déjeuner, sur la terrasse, confirme la générosité du lieu : soupe de courge, salade, tajine de poulet et légumes, couscous. « Je n’imaginais pas des pommes de terre si bonnes en tajine », écrit-elle, « le service souriant rend l’instant encore plus joyeux ». Le lavage des mains « à la bouilloire et au bassin » surprend par sa propreté « impeccable ». Une dernière vallée, une photo, et la descente.
En quittant Marrakech, l’anxiété initiale « n’avait pas lieu d’être ». Hôtel convenable, personnel aimable, cuisine franche. Le souvenir reste celui d’une ville où « les inconnus deviennent amis au hammam », où l’on partage une tanjia, où « les chameaux voyagent sur des toits de camionnettes », où « les guerabs portaient l’eau en outres de peau », où « servir le thé à la menthe est un art et le refuser, une impolitesse ». Elle rentre « avec de l’huile d’argan et des épices », après une semaine passée à écouter, goûter et regarder ce que Marrakech dit d’elle-même.