Marrakech, ville impériale la plus emblématique du Maroc, attire des millions de touristes en quête d’exotisme dans sa médina aux souks foisonnants de spices, tissus, huiles et céramiques. Ce reportage immersif révèle les transformations irréversibles engendrées par l’overtourism, où riads convertis en rooftops branchés côtoient une quotidienneté marocaine rude, entre inflation du centre historique et spopolamento des quartiers anciens.
L’engouement pour le tourisme expérientiel, boosté par Booking et Airbnb, multiplie les hébergements dans la médina, ces riads traditionnels autour de patios conviviaux offrant thé à la menthe sur terrasses surplombant un skyline de toits rouges évoquant les constructions informelles du sud italien. Pourtant, cette occidentalisation cache des réalités poignantes : foules attendant tardivement les bus, hommes tractant charges écrasantes à travers les étals, femmes voilées regagnant leurs foyers épuisées. Près de Bab Doukkala, ateliers, menuiseries et ferronneries s’activent dans la rue, mêlant odeurs de cuisine et d’animaux, avec enfants mendiant au milieu de motos slalomant entre touristes.
Le touriste oscille entre assiégeant et assiégé : son confort impose sa marque dans des zones de pauvreté extrême, tandis que caméras de surveillance omniprésentes – sur arcades de la médina et espaces communs des riads – assurent sécurité mais aussi contrôle politique. La monarchie alaouite, soucieuse du secteur touristique, déploie Gendarmerie Royale, Sûreté Nationale et Forces Auxiliaries pour quadriller marchés et la mythique place Jamaa el-Fna, partiellement fermée pour travaux, théâtre d’orgie commerciale où familles entières gèrent étals en relayant frenétiquement les marchandises.
Au-delà de la médina médiévale, Marrakech la métropole s’étend chaotiquement : grues et excavatrices soulèvent poussières ocre sur terrains d’arenaria, ravageant campagnes misérables. Le séisme dévastateur de 2023 dans l’Atlas, vers les cascades d’Ourika, a rasé villages berbères ; reconstruction inégale voit 53 000 logements achevés, 56 000 en cours, mais 4 000 familles encore en zones à risque. Jeunes Berbères reconvertissent traditions en attractions touristiques – danses, pressage d’amandes d’Argan pour huile cosmétique – tandis que l’attribution des finales Mondial 2030 au Maroc, Espagne et Portugal accélère cette urbanisation effrénée.
Marrakech incarne ces contradictions : folklore exacerbé enchante serpents charmeurs et stucs lunaires, masquant inégalités criantes. L’informalité domine transactions – négoce obsessionnel révélant scaltrezza universelle – et manifestations récentes contre le gouvernement, matées dans le sang, graffitis anticops "ACAB" sur murs sans caméras. La ville ocre, plaque tournante touristique africaine, navigue entre soft power économique et tensions sociales, où vie prolétarienne reste lutte survivaliste derrière paravent coloré.
Source : Marrakech e il Vento d'Occidente